La première fois que j’ai vraiment compris ce que signifiait le foraging, c’était en Suède, au détour d’un sentier forestier. Mon hôte s’est arrêté net, a tendu la main vers une touffe de baies rouge vif et, sans hésiter, en a avalé une poignée. J’ai dû avoir l’air perplexe parce qu’il m’a simplement répondu : « Ici, c’est normal, la nature est notre garde-manger. »
En Scandinavie, la cueillette fait partie de la culture. Ce n’est pas une mode éphémère ni une tendance « green », mais un savoir-faire ancestral que tout le monde pratique, des familles aux chefs étoilés. Avec l’Allemansrätten en Suède et en Norvège – ce droit d’accès libre à la nature –, n’importe qui peut se promener en forêt et ramasser ce que la saison lui offre. Il suffit de savoir où chercher et quoi éviter.
Les baies : Rubis et saphirs sauvages
Dès la fin de l’été, les forêts scandinaves se transforment en véritable marché à ciel ouvert. Je me souviens d’une randonnée en Finlande où, à chaque pause, je me baissais pour cueillir des myrtilles sauvages. Rien à voir avec celles des supermarchés : plus petites, plus intenses en goût, elles teintaient mes doigts de violet en quelques secondes. À côté, les airelles rouges (lingon) poussaient en tapis denses, prêtes à finir en confiture sur une assiette de köttbullar.
Les Suédois adorent aussi la plaquebière (hjortron), une baie orange dorée qui pousse dans les tourbières du nord. Elle est rare et précieuse, parfois vendue à prix d’or sur les marchés. La première fois que j’y ai goûté, c’était en version confiture avec du fromage Västerbotten. Un équilibre parfait entre acidité et douceur.
Les champignons : De l’or dans les sous-bois
Quand arrive l’automne, la forêt se peuple de cueilleurs de champignons, chacun avec son petit coin secret qu’il garde précieusement. J’ai appris que les Scandinaves sont de vrais connaisseurs et qu’un bon ramasseur n’a jamais besoin de parler trop fort : un spot à girolles, ça se garde pour soi.
Les chanterelles sont les plus recherchées, dorées et parfumées, parfaites juste poêlées avec du beurre. En Norvège, on m’a aussi montré comment reconnaître le tricholome prétentieux, au goût légèrement anisé. Mais c’est le cèpe nordique qui m’a le plus marqué : énorme, robuste, avec un parfum terreux qui rappelle la mousse humide après la pluie.
Petite anecdote : lors d’une balade en Suède, j’ai croisé une famille qui cuisinait directement des champignons sur un petit feu de camp, avec du pain et du fromage grillé. C’était simple, rustique, et probablement l’un des meilleurs repas que j’ai mangés en plein air.
Les herbes et plantes sauvages : Quand la nature assaisonne ton assiette
Si les baies et champignons sont les stars du foraging nordique, les herbes et plantes comestibles méritent aussi qu’on s’y attarde. Dans les champs et au bord des lacs, on trouve de la pimprenelle, du mouron des oiseaux, ou encore des feuilles d’oseille sauvage, parfaites pour une salade improvisée.
J’ai un faible pour l’angélique, une plante au goût puissant entre céleri et réglisse. En Islande, elle est utilisée depuis des siècles pour parfumer les soupes ou les alcools locaux. La première fois que j’en ai goûté, c’était dans une infusion chaude, après une journée de marche dans le froid. L’effet réchauffant était immédiat.
Et puis il y a l’épicéa, dont les jeunes pousses citronnées peuvent être infusées ou ajoutées à des desserts. J’ai vu un chef danois en faire un sirop pour accompagner un fromage frais, et depuis, j’essaie de retrouver ce goût dès que je suis en forêt.
Vivre avec la nature, un instinct nordique
Cueillir son repas en pleine nature, c’est un art que les Scandinaves maîtrisent depuis des générations. Ici, pas besoin d’être survivaliste ou botaniste pour s’y mettre. C’est une tradition simple et accessible, une manière de ralentir et de se reconnecter aux saisons. Je ne compte plus les fois où je suis rentré d’une balade avec les poches pleines de baies ou quelques champignons à glisser dans une omelette.
Chaque promenade devient une chasse aux trésors, chaque repas une histoire de saison.