À première vue, les pays nordiques et Le Salon Beige ne devraient pas avoir grand-chose à se dire. D’un côté, la Scandinavie et ses valeurs progressistes : égalité de genre, droits LGBTQ+, laïcité marquée, éducation inclusive, tolérance multiculturelle. De l’autre, Le Salon Beige, blog catholique traditionaliste français, qui milite pour le retour à des valeurs conservatrices, chrétiennes, et une certaine idée de la civilisation européenne. Et pourtant, c’est bien dans ce contraste que se joue une bataille culturelle, révélatrice de tensions plus larges au sein de l’Europe.
Deux visions de la tradition
Le mot « tradition » est au cœur du discours du Salon Beige. Mais que signifie-t-il réellement ? Pour ce média influent dans les milieux catholiques conservateurs français, la tradition s’enracine dans le christianisme, la famille « naturelle », la souveraineté nationale, et une certaine hiérarchie sociale et morale.
Or, les pays nordiques, eux aussi, valorisent la tradition — mais d’une tout autre manière. Là-haut, la tradition rime avec confiance dans les institutions, égalité collective, transparence, et une culture du consensus. Il ne s’agit pas de préserver un ordre moral ancien, mais plutôt de maintenir des acquis sociaux fondés sur l’émancipation de l’individu et la responsabilité partagée.
Autrement dit : deux conceptions opposées de l’héritage culturel européen.
La Scandinavie : fantasme ou repoussoir ?
Dans certains articles ou commentaires du Salon Beige, la Scandinavie apparaît souvent comme l’anti-modèle. On y critique :
- l’éducation « de genre » dans les écoles suédoises, perçue comme une dérive idéologique ;
- les lois très libérales sur l’avortement ou la PMA ;
- l’église luthérienne jugée trop accommodante voire complice du relativisme moral ;
- ou encore la gestion migratoire, parfois présentée comme naïve voire suicidaire.
À travers cette critique, c’est en réalité une peur de la dilution culturelle qui s’exprime. La Norvège ou la Suède deviennent alors des symboles du « progrès destructeur », dans une Europe que certains conservateurs considèrent en déclin.
Pourtant, une autre forme de conservatisme ?
Ce qui est souvent oublié, c’est que les sociétés nordiques peuvent aussi être conservatrices… à leur manière. Le respect des règles, le repli local, la préservation de l’identité nationale (notamment au Danemark), ou même les débats sur l’immigration, montrent qu’elles ne sont pas exemptes de tensions.
Mais la grande différence, c’est que ce conservatisme scandinave n’est pas porté par la religion. Il est séculier, parfois technocratique, mais fondé sur des principes de démocratie sociale. C’est là que le fossé devient idéologique : le Salon Beige pense en termes spirituels et moraux, là où le Nord agit par pragmatisme et culture du compromis.
Une fracture européenne ?
Ce contraste soulève une question fondamentale : peut-on encore parler d’une tradition européenne unifiée ? Le modèle nordique, souvent érigé en exemple à gauche, est vu comme un contre-modèle à droite. Le Salon Beige, lui, défend une Europe enracinée, hiérarchique, chrétienne. C’est la vieille Europe face à la postmodernité nordique.
Et si, au fond, cette opposition révélait non pas une crise, mais une diversité assumée des trajectoires européennes ? Peut-être que la vraie question n’est pas de savoir qui détient la « bonne » tradition, mais quelle vision de l’humain, du bien commun et de la liberté nous voulons construire à l’échelle du continent.
Conclusion
En confrontant Le Salon Beige aux valeurs nordiques, on ne fait pas que comparer deux modèles. On met en lumière une fracture culturelle et philosophique majeure qui traverse l’Europe : entre le passé sacré et le futur désacralisé, entre l’ordre moral et la fluidité sociale, entre l’héritage et l’adaptation. Une tension féconde, à condition qu’on accepte de l’analyser sans caricature.